Ce n’est pas parce que les femmes ont un utérus qu’elles n’ont pas de cerveau.
La derrière sortie de Trump sur l’avortement continue de faire des vagues. Que les démocrates poussent des cris d’orfraie c’est compréhensible, quand il s’agit des opposants Républicains de Trump cela peut étonner. A entendre Trump demander la punition des femmes qui avorteraient (il se plaçait dans l’hypothèse où l’avortement redeviendrait illégal), je m’étais dit que – pour une fois – ses adversaires allaient être d’accord avec lui. N’est-ce pas eux qui font tout pour que l’avortement soit banni ? Punir un acte illégal n’est-ce pas logique après tout ? D’habitude ces messieurs reprochent à Trump de ne pas être un vrai conservateur et d’être trop modéré quand il tolère des exceptions à l’interdiction de l’avortement en cas de viol, d’inceste ou de risque vital pour la femme… Afin de détériorer son image déjà bien entachée auprès des femmes et de redorer leur propre blason, ils tentent de le faire passer pour extrémiste alors qu’eux respecteraient les femmes. C’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité quand on voit l’acharnement systématique et – reconnaissons le, extrêmement efficace – avec lequel ils essaient depuis des années de restreindre le droit à l’avortement et l’accès aux moyens de contraception. Malheureusement plus c’est gros, plus ça passe. A défaut d’avaler des pilules contraceptives, espérons que les américaines ne vont pas avaler cette pilule-là.
L’objectif de la guerre est bien de rendre l’avortement illégal au niveau fédéral. Pourquoi les Républicains essaient-ils actuellement d’empêcher Obama par tous les moyens de nommer un remplaçant plus libéral que le feu juge Scalia à la Cour Suprême ? Pour revenir sur l’arrêt Roe vs Wade de 1973 qui a rendu l’avortement constitutionnel. Un autre arrêt datant de 1992, l’arrêt Planned Parenthood vs Casey a certes confirmé l’arrêt Roe, mais l’a considérablement affaibli en permettant aux Etats de restreindre le droit à l’avortement, sous réserve que les restrictions ne constituent pas un « undue burden » pour les femmes. La définition de « undue burden » is justement the question.
En attendant de pouvoir annuler l’arrêt Roe, les Républicains poursuivent une stratégie terrain des petits pas en faisant voter des législations restrictives au niveau des Etats. Sous couvert de protéger la santé des femmes, il s’agit en fait de rendre compliqué voire impossible l’accès effectif à l’avortement. Les mesures touchent d’abord les femmes : ajouts de délais de réflexion (les femmes sont futiles elles avortent comme elles font du shopping), échographies obligatoires, « séances d’information » en fait très orientées visant à dissuader les femmes. Les « professionnels » leur communiquent parfois des informations médicalement infondées par exemple que l’avortement augmente les risques de cancer, qu’il entraîne des troubles psychologiques plus forts que les grossesses non voulues menées à terme…. Certains états ont interdit le remboursement des frais d’avortement par les assurances y compris privées. Le financement par l’état fédéral est par ailleurs déjà interdit. D’autres mesures, encore plus efficaces, visent les cliniques à qui on demande des aménagements identiques à ceux d’hôpitaux bien qu’ils soient inutiles car l’avortement est une des interventions médicales les plus sûres quand il est pratiqué au premier trimestre. Ces mesures ne sont pas exigées pour d’autres actes médicaux plus dangereux mais quand on aime on ne compte pas… On demande aussi aux médecins d’avoir des accréditations auprès d’hôpitaux pour pouvoir y référer leur patiente en cas d’urgence. Ces accréditations sont également inutiles puisque les hôpitaux seraient de toute façon obligés d’accepter les patientes dans ces cas. Comme par hasard, les hôpitaux refusent les accréditations. Sous l’impact des ces lois, des cliniques ferment et les médecins ne peuvent plus exercer ; les femmes doivent voyager plus loin, changer d’état éventuellement, payer plus cher, et surtout attendre plus longtemps. L’augmentation des délais d’obtention de rendez-vous à entrainé une augmentation mécanique du nombre d’avortements au 2ème trimestre qui sont plus dangereux pour la santé de la mère. Tout ça pour protéger la santé des femmes. Chantage psychologique, pression financière… n’y voyez pas de la punition, mais du respect. Maximum respect. Chères femmes américaines de quoi vous plaindriez-vous ? Vous avez un droit théorique, peu importe la réalité.
Ce type de stratégie n’est d’ailleurs pas nouveau : lorsque les noirs ont enfin obtenu une égalité de droit dans la Constitution après la guerre de Sécession, les états du Sud – sans doute par respect – se sont empressés de voter des lois pour en empêcher l’application concrète. Les lois dites « Jim Crow » leur ont permis de rétablir une ségrégation de fait qui a duré jusqu’en 1965. Ce n’est peut être pas un hasard si ces états sont encore fers de lance contre l’avortement. La décision de la Cour suprême sur les restrictions imposées au Texas, qui est en cours de réflexion, va peut être clarifier les limites de ce que les Etats peuvent ou ne peuvent pas faire. Dans l’attente de la nomination d’un nouveau juge, la loi locale s’applique. La nomination d’un juge très conservateur pourrait s’avérer un nouveau coup de boutoir dans un droit de plus en plus fragile.
Les gens qui sont contre l’avortement le sont souvent pour des raisons religieuses et leur position morale est respectable. Une autre position me paraît beaucoup moins défendable. Pourquoi n’essaient-il pas d’éradiquer la cause principale de ces avortements, les grossesses non désirées ? On dirait même qu’ils font tout pour les provoquer. A moins de vouloir que tous les couples aient autant d’enfants que la nature le permet, il n’y a pas cinquante mille façons de procéder : la contraception. Cela veut dire qu’il faut éduquer et favoriser l’accès aux moyens de contraception, notamment dans les populations les plus pauvres (42% des grossesses non désirées touchent des femmes en dessous du seuil de pauvreté). Ce n’est pas en recommandant l’abstinence aux jeunes filles non mariées et les méthodes « naturelles » aux autres qu’on va y arriver. L’Affordable Care Act qui oblige depuis 2010 les employeurs à fournir une couverture des moyens de contraception dans leur régime d’assurance-santé pour leurs employées femmes va dans le bon sens. De 2008 à 2011 le nombre de grossesses non désirées a baissé. On peut raisonnablement penser que cela a peut être un lien. Dans l’arrêt Hobby-Lobby en 2014, s’appuyant sur le Religious Freedom Act (loi votée en 1993), la Cour suprême a permis que des sociétés privées au nom de leur conviction religieuse (parce que les sociétés peuvent avoir des convictions religieuses) refusent de prendre en charge certaines méthodes de contraception dans leur plan d’assurance-santé. Quand les entreprises entrent dans la chambre des couples, la liberté de religion des sociétés est respectée…mais quid de la liberté des couples à cette même liberté, quid de l’égalité homme femme ?
La discussion du cas Zubik vs Burwell laisse encore plus perplexe. Les associations religieuses à but non lucratif bénéficient d’une exemption dans le cadre de l’Affordable Care Act et ne sont pas tenues de couvrir les moyens de contraception sous réserve de remplir des formulaires pour prévenir leur assureur ou le gouvernement. Pourtant ces organisations estiment que le processus d’exemption lui-même les rend complices d’un comportement contraire à leur foi. Jusqu’où peut-on aller dans la mauvaise foi ? La Cour suprême a jugé que remplir ces formalités constituait effectivement un fardeau substantiel. J’attends avec impatience de voir si les contraintes imposées aux femmes qui veulent avorter au Texas sont aussi un fardeau ou pas ? Gageons que non !
Last but not least, nos amis « Pro-Life » s’acharnent enfin à faire disparaitre le planning familial (la Planned Parenthood). L’été dernier, des opposants à l’avortement ont piégé et filmé des cadres de la Planned Parenthood afin de démontrer que l’organisme vendait illégalement des fœtus à des centres de recherche. Les Républicains ont diligenté de nombreuses investigations qui pour l’instant n’ont mené à aucune condamnation du Planning familial. Il est intéressant de noter que certains tribunaux ont condamné à l’inverse des partisans « Pro-Life » pour félonie. Après avoir crié au scandale, les républicains ont fait monter la mayonnaise. Carli Fiorina, l’une des candidates du GOP, a dit qu’elle avait visionné une des vidéos où on voyait des fœtus encore vivants souffrir. Elle avait juste des visions car la vidéo ne montrait pas ce qu’elle décrivait avec pourtant une grande conviction. Je ne savais pas que le mensonge était une vertu théologale. Même si les allégations avaient été prouvées, fallait-il comme l’ont fait les républicains demander la suppression du financement du planning familial en faisant un chantage qui a failli bloquer tout le budget du gouvernement (au risque de geler toute activité gouvernementale) ? Les Républicains sont prêts à jeter le bébé avec l’eau du bain : non seulement ils veulent arrêter l’activité du Planning Familial liée à l’avortement mais aussi toutes ses autres missions comme celles d’aider les femmes les plus démunies à prévenir les cancers, à avoir accès à des moyens de contraception, à soigner les maladies sexuellement transmissibles mais …. pourquoi ?
Cette politique jusqu’au-boutiste laisse les femmes les plus démunies dans la merde. Si on regarde les statistiques, les avortements les plus nombreux sont dans les Etats du sud, chez les populations les plus défavorisées, dans les minorités, surtout chez les femmes noires, chez les adolescentes. Ces femmes ne peuvent simplement pas élever un enfant. Alors il faut les aider à ne pas tomber enceinte. Les femmes n’avortent pas par plaisir. Quand elles sont obligées d’avorter, elles sont déjà punies. Rendre l’avortement illégal ne résout pas le problème. Désespérées, certaines sont prêtes à mettre leur vie en danger : elles pratiquent alors le « DIY (do it yourself) abortion ». Les Républicains ne lisent pas les statistiques : les pays où l’on constate le moins d’avortements sont ceux où la législation est la plus permissive et où un travail en amont est fait pour limiter les grossesses non voulues. Donc il faut arrêter l’hypocrisie, quand on tient à la vie, on essaye de créer les conditions qui la protègent pas le contraire. Et puis que tous ces bien-pensants appliquent leurs principes « pro-life » de façon homogène et systématique. Qu’ils protègent les hommes et femmes déjà nés autant qu’ils protègent les embryons de quelques semaines. Qu’ils arrêtent de tuer les médecins qui pratiquent l’avortement (il y a eu plus de 10 meurtres), qu’ils arrêtent de défendre la peine de mort (car si les femmes noires ont plus de grossesses non désirées que les autres, leurs enfants noirs aussi sont aussi statistiquement plus souvent dans les couloirs de la mort), qu’ils arrêtent de défendre bec et ongle l’amendement numéro 2, qu’il sont en train de transformer en amendement du droit de tuer son prochain, qu’ils contribuent à réduire les inégalités dans leur pays. Il y a tellement d’hommes et femmes sur terre à défendre…car toutes les vies sont sacrées pas vrai ?
Accuser Trump de dérapage est facile. Il n’a fait que dire ce que les Républicains font déjà. Oui Trump est inconséquent, change d’avis comme de chemises. Ces revirements montrent peut être qu’il n’est pas à l’aise sur le sujet et qu’il n’est peut être pas autant contre l’avortement que ça. Les Républicains ne changent pas assez d’avis. Ils donnent une voix récurrente depuis des années aux extrémistes de leur Parti. Ils ont raison quand ils disent que Trump n’est pas assez conservateur qu’eux, pas quand ils disent qu’eux respectent plus les femmes que lui. Le parti républicain prend les femmes pour des connes, espérons qu’elles ne leur donneront pas raison.
