
Regarder à la télé les primaires de New York c’est bien gentil, mais y aller en vrai, c’est quand même plus sympa. Il fallait choisir : après une chronique spéciale Coco, logiquement, il fallait vous parler de Révolution. Direction donc Washington square. Aller faire la révolution en 2016 ce n’est plus ce que c’était avant : pas de « ça ira » ni de fourches brandies à bout de bras : des gens qui se réunissent, rameutés par leurs réseaux sociaux… Ca vous a un petit air de concert de rock : on attend gentiment, en faisant la queue bien en rang, c’est limite si on ne se donne pas la main comme à l’école et puis on se laisse fouiller les sacs c’est dans l’air du temps. Arrivés à 17H30, nous avons mis deux heures et demi pour entrer dans le parc. Deux fois le tour complet du block : un coup dans un sens pour remonter jusqu’au bout de la file un coup dans l’autre pour la suivre. Nous aurions pu essayer de gruger : mais déjà qu’aux Etats-Unis ça ne se fait pas, alors quand on va à un meeting de Bernie, il ne faut pas pousser mémé dans les orties. Ceci dit, des amis arrivés au dernier moment sont entrés en même temps que nous : Ah ces français on ne le changera jamais ! J’espère que Bernie Président et son équipe seront un peu plus efficaces pour lutter contre le tax loophole que son service d’organisation à lutter contre les resquilleurs de la file d’attente. Malgré notre âge et notre dégaine de bourgeois déguisés en étudiants, on nous a laissé entrer sans aucun contrôle (au bout de deux heures le service d’ordre a carrément plié ses gaules).
On ne présente plus Bernie. Physiquement, il me fait penser à Walder et Statler les petits vieux au balcon dans le Muppet show. Comme eux, il commente ce qui se passe sur la scène politico-économique. Et ça fait mal. Ses cibles préférées : la Corporate America, les 1% les plus riches, Wall street et leur copine Hillary. Chez les Muppets, la violente c’est Miss Piggy qui explose en rages incontrôlées : Kermit a volé en l’air plus d’une fois. Mais là, Kermit/Walder/Statler/Bernie ne se laisse plus impressionner et c’est lui qui cogne Hillary.
On pourrait presque oublier que le parti démocrate a été au pouvoir assez longtemps, sous Clinton et sous Obama : Bernie rappelle que les différentes politiques menées depuis trente ans, lancées par le cher Reagan, ont contribué à l’augmentation des inégalités et à la destruction de la middle class au profit des plus riches. Les inégalités n’ont jamais été si importantes ni pendant le « gilded age », ni avant la crise de 29. Alors que les plus riches s’enrichissent malgré les crises, les jobs se délocalisent, des régions entières ont été touchées par la crise des subprimes et/ou la délocalisation, les salaires baissent, les revenus moyens aussi. Même l’espérance de vie des plus pauvres baisse. Bernie résume la situation en quelque chiffres éloquents sous les huées du public : le dixième des 1% les plus riches concentrent 90% de la richesse du pays. Les 20 plus riches possèdent plus que les 150 millions les plus pauvres ; la famille Walton seule (propriétaire de Walmart) plus que les 40% d’américains les plus démunis. Walmart c’est un peu le symbole de ce qui ne va pas. Côté face tu perds, exploitation des salariés qui reçoivent des salaires de misère et côté pile aussi, exploitation des consommateurs qui consomment de la merde. Bernie oublie peut être de dire ce que Coluche résumait dans un sketch : « quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas ». Les individus sont schizophrènes : le côté consommateur fait tout ce qu’il faut pour nuire au salarié. Bernie fustigeait hier McDo et autres Coca-Cola : mais pourquoi dans tous les pays les gens préfèrent-ils acheter de la merde pas chère que des produits de qualité ? Pour acheter des iphones produits en Chine… Je dérive.
Or souligne Bernie qui adore Shakespeare, il y a quand même quelque chose de pourri au royaume du Danemark…. Les billionnaires dépensent plus de 900 millions de dollars lors des élections. Comment dès lors faire confiance à Clinton dont le Super Pac est principalement financé par ces mêmes super riches ? Les riches ne dépensent pas des sous pour des prunes. Hillary représente Wallstreet, pas « We, the People ». Bernie rappelle que lui a levé plus qu’elle ou que les autres candidats, auprès de Monsieur Toutlemonde sous forme de 7 millions de contributions de 27 dollars en moyenne.
Bernie continue ses attaques. Il martèle tout ce qui le sépare d’Hillary. Il attaque d’abord sur son propre point faible : la politique étrangère. L’essentiel des problèmes du monde actuel viennent d’une erreur majeure commise par les Etats-Unis en 2002 assène-t-il. Déclencher la guerre d’Irak. « J’ai écouté –dit-il ce que disait alors le clan Bush, Cheney et autres Rumsfeld- et j’ai entendu des arguments qui ne m’ont pas convaincu ». Pourquoi alors Hillary a-t-elle voté pour cette guerre ? N’a-t-elle pas entendu les mêmes mensonges que lui ? Je n’ai pas pu m’empêcher d’applaudir avec la foule.
Bernie explique ce qu’il envisage pour réduire la fracture sociale. D’abord développer le système de sécurité sociale pour assurer des retraites décentes, développer aussi le medicare. Ensuite rendre l’école publique gratuite, notamment développer l’accès à l’université. Il rappelle que la principale source d’inégalité vient de là. Son public tout acquis composé essentiellement d’étudiants (Washington Square est au cœur de NYU – New York University) applaudit à tout rompre. Enfin, reconstruire les infrastructures, laissées à l’abandon et qui tombent en ruines un peu partout dans le pays (système de distribution d’eaux, trains, autoroutes…).
Comment va-t-il financer toutes ces dépenses ? Il répond aux arguments d’Hillary. En faisant payer les riches qui contribuent de moins en moins au bien commun. Du côté cotisations sociales (celles-ci sont beaucoup moindres qu’en France), il souhaite faire sauter le système de plafond : celui qui gagne 2 millions de revenus ne paie pas plus que celui qui gagne 150 000 dollars. Enfin, il veut lutter contre la fraude fiscale : estimée à 100 milliards de dollars. Une chronique de Nicholas Kristof du NYT (du 14 avril 2016) explique qu’en 2012 les revenus déclarés par les entreprises américaines dans les paradis fiscaux dépassent ceux déclarés au Japon, Chine, Allemagne et France confondus. En récupérant ne serait-ce qu’un cinquième de la somme en question, on peut faire effectivement pas mal de choses ironise Kristof.
Le parti démocratique a développé une politique visant d’abord à obtenir le pouvoir et a cédé sur beaucoup de fronts (et ce d’autant plus que le GOP a la majorité au Congrès). Le GOP a déplacé le combat à droite toute, et le parti démocratique l’a suivi sur le terrain de la morale (contrôle des armes, avortement, mariage des homosexuels…) abandonnant le terrain économique. Hillary ne fait que continuer ce qu’avait commencé son mari et ensuite Obama. Sanders propose donc une politique à gauche. Là où Hillary se contente de ce qu’il appelle le status quo, il veut une révolution politique qui s’attaque d’abord aux sources du mal : le financement des partis et la corruption. Une révolution « bottom up ». On peut trouver excessif son rejet systématique des entrepreneurs, mais Bernie reprend le flambeau que brandissait paradoxalement le GOP plus que le parti démocratique : il travaille pour le peuple, pas pour l’élite, pour ceux qui ne sont pas entendus. Il prétend dire la vérité, ce qui est selon lui « unusual in American. Quand on voit le niveau de mensonges de ses adversaires, le niveau de mauvaise foi… on ne peut qu’applaudir. Pour l’instant il se bat sur des chiffres et des faits. Il radote (son discours était exactement le même hier lors du débat avec Clinton que la veille) mais il explique et il parle du fond des choses, pas de l’écume. Les entreprises et leurs patrons, les politiciens ont tous tellement abusé dans l’exagération. Quand les inégalités sont à ce point là flagrantes (au point qu’elles deviennent nuisibles à ceux à qui elles profitent), qu’on soit d’accord ou pas sur tout, on voit qu’il faut vraiment faire quelque chose. Et fondamentalement quand on écoute les autres, Hillary comprise, on voit bien qu’il a peut être un tout petit raison et qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.



