Sweet home Alabama ou pourquoi j’ai décidé de rester Desperate Housewife encore un peu

Lors d’un voyage récent en Alabama où il allait rencontrer des imprimeurs, Brian, un collègue de Jean-Charles originaire de Caroline du Sud, a la-dame
redécouvert le goût de l’Amérique profonde, que quelques années à New York peuvent vous faire oublier. L’Alabama fait partie des « safe red states » ; les Républicains y gagnent toutes les élections depuis 1980, avec une marge très confortable.
En arrivant à l’usine, Brian s’est aperçu que le parking officiel de l’établissement était relativement vide comparé au champ mitoyen. Pourquoi la plupart des visiteurs avaient-ils garé leur pick-up ou leur SUV dans un champ éloigné et poussiéreux ? Le parking « normal » était-il en travaux ? Nenni. Le parking était-il interdit aux pick-up ? Point du tout. Les salariés voulaient-ils absolument un endroit sauvage pour garer leur véhicule de cowboy ?Vous n’en approchez guère. Pourquoi des américains habitués aux drive through pour choper au passage leur café matinal, leur hamburger méridien, leurs antibiotiques, ou même pour aller chercher du cash au distributeur… allaient-ils marcher quelques centaines de mètres apparemment sans raison ? Brian eut un « light bulb moment » comme on dit ici. Tous ces gens venaient au bureau avec une arme à feu dans leur boite à gants. Les « law abiding citizens » doivent pouvoir se défendre contre les criminels partout …
Depuis quelques années, les derniers sanctuaires « gun free » sont conquis un à un par les lobbies pro armes : le monde du travail n’y fait pas exception. En 2013 une vingtaine d’états ont voté des lois dites « guns at work » pour lutter contre la soit disant discrimination au travail à l’encontre des propriétaires d’armes. Certains méchants employeurs avaient sans doute utilisé la détention d’armes comme motif de licenciement. En Alabama, la Senate Bill 286 communément appelée « Guns in the Parking Lot Act » permet aux salariés d’amener une arme au travail et de la garder dans son véhicule, y compris quand celui-ci est garé sur le terrain de son employeur. Vous me demanderez alors pourquoi les visiteurs denotre usine se garaient à distance des locaux. Je n’en sais rien, ce n’est pas logique. Il est probable que la loi permet aux employeurs de créer malgré tout des parkings « gun free » sous réserve de proposer une alternative.
De manière générale, les avocats doivent se régaler : cette évolution de la législation leur donne du travail supplémentaire car les entreprises doivent s’adapter à des contraintes contradictoires. Ils sont en effet pris en tenaille entre deux obligations : d’une part respecter les lois qui permettent à leurs employés de venir avec des armes dissimulées sur leur parking (au risque d’être passible de peines au civil et au pénal), d’autre part respecter les normes de l’Occupational Safety and Health Act (OSHA) qui les obligent à fournir à leurs employés un environnement de travail raisonnablement sûr. Il va sans dire que la notion de « raisonnablement sûr » est éminemment subjective. Tout cela devient encore plus compliqué pour les sociétés qui ont des établissements dans des états différents puisque les lois peuvent alors varier.

Brian trouvait par ailleurs assez cocasse d’être obligé – par mesure de sécurité – de porter dans l’usine un casque, des lunettes pour protéger ses yeux, des protections pour ses oreilles, des chaussures à bouts renforcés alors que de retour sur le parking, il se retrouvait sans gilet pare balles directement dans le far west. Comble d’ironie un poster à l’entrée de l’usine accueillait les visiteurs avec ses mots :« Your family wants to see you tonight, be safe ». Je n’ai pas le monopole du mauvais esprit.

Personnellement, j’en ai tiré une conclusion évidente : je dois continuer à procrastiner. Boulot ? Pas boulot ? Pas Boulot ! Franchement en écoutant Brian, je me suis dit que reprendre un job dans la finance et/ou les RH ici c’est téméraire. Ca mérite une prime de risque. Si un employé n’est pas content parce qu’il s’est disputé avec sa femme, qu’il a été licencié, ou parce qu’il n’a pas eu le bonus qu’il escomptait, il peut revenir avec une arme et dégommer ses anciens camarades de jeu. En février dernier, dans la ville de Hesston au Kansas, Mr. Ford a tué trois collègues et en a blessé 14. Il était un peu dérangé certes, … mais c’était un brave gars disent ses anciens collègues. Début mai, à Katy au Texas, un homme licencié un mois auparavant est revenu tuer un collègue, blessant deux autres personnes avant de se suicider. L’été dernier, à Roanoke en Virginie, un certain Flanagan, licencié pour comportements menaçants auprès de ses collègues journalistes, est revenu plus de deux ans après et a tué en direct une journaliste et un cameraman alors qu’ils étaient à l’antenne. Il a posté sur internet ce qu’il avait filmé avant de se suicider. Un petit bijou de reality show ! Certes New York n’est ni l’Alabama, ni le Texas et puis aucun des forcenés n’a tué de chef. Dommage pour leurs petits camarades.

Ceci dit, même la Desperate Housewife doit se méfier et à force de lire des histoires de guns je deviens parano. Je fais attention partout, surtout en voiture. Le code de la route de l’Etat de New York comprend tout un chapitre dédié aux cas de « road rage ». Le message est clair : fuir le danger. Quand je croise quelqu’un dans la rue, surtout s’il a un pick up avec un poster « I love my pitbull, je le laisse systématiquement passer. Il me revient à l’esprit une petite anecdote qui m’est arrivée en France, un soir de printemps. Je pars dîner chez des amis dans ma petite C3 blanche. Je me faufile habilement entre les voitures, notamment place de la Concorde que je traverse avec brio. Oui mais voilà, à peine ai-je dépassé la Madeleine direction l’Opéra, qu’une petite Twingo violette, conduite par une dame d’un certain âge essaie de me forcer le passage par la droite ; je résiste quelques mètres puis cède à contrecoeur. Mon sang ne fait qu’un tour, « j’oublie » de m’arrêter et heurte à l’insu de mon plein gré la Twingo. Attention, très doucement, mais suffisamment pour que la dame s’en rende compte. Comme dirait maman : à conne conne et demi. La pimbêche n’est pas joueuse et sort de sa voiture en trombe. Stupidement, j’ouvre ma fenêtre et avec mon sourire le plus putassier je lui dis : oui ? ». La furie prend son élan et me balance son point dans la figure ; Après avoir ramassé mes lunettes atterries sur mes genoux, je ferme assez rapidement la vitre ne demandant pas mon reste. Je ne vous raconterai pas la suite de l’histoire…
mais voilà, chat échaudé craint l’eau froide. Je ne voudrais pas tomber sur la même dame, version Sarah Pallin avec un fusil à canon scié. Better be safe than sorry.

 

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Publié dans: Guns

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