Finies les paillettes… Minuit a sonné et la « would be – ou plus tôt – has been princess » se retransforme en Desperate Housewife. A Mamaroneck, jeans et baskets c’est quand même plus pratique que les talons, surtout pour le car pooling. Ouf Cannes c’est fini ! Comme pour les plaisanteries, à Cannes la qualité va de pair avec la brièveté, ce que Marie-Pierre Casey résumait dans la publicité pour Pliz (l’ami des Desperate Housewives) par un définitif « c’est tant mieux parce que je f’rai pas ça tous les jours ». Si je n’ai pas fait la montée « officielle » avec l’équipe, j’ai quand monté les Marches moi aussi le lendemain. Je rêvais de me casser la gueule, telle Amy Schumer lors du Gala Time 100 s’affalant au pied de Kim Kardashian. Entre la chute en haut de la Red Carpet de la plus toute jeune mais toujours aussi élégante Helen Mirren, et celle de la mannequin tchèque dont je ne connaissais même pas l’existence avant qu’Armelle ne m’en parle, j’aurais pu tenir une place du juste milieu. Les chutes spectaculaires ça me connaît. J’aurais même pu me casser le genou droit, histoire de rétablir la symétrie. Je me suis dégonflée. La veille, Jean-Charles et l’équipe du film « Wrong Elements » avaient réussi à monter les marches deux fois. Forts les mecs… Personne ne l’avait encore jamais inventé celle-là : tu pars une première fois à contretemps, tu arrives en haut et on te dit « mais que faites-vous là ? On ne vous a pas appelés vilains garnements. Allez zou, un deux trois soleil, retournez à la case départ ». Et voilà, second tour. Look at the film si vous ne me croyez pas (https://www.youtube.com/watch?v=RfeuGpkVhVQ).
Si j’étais crâneuse et bégueule je dirais : « Chère amie, les tapis rouges, les cocktails à la Terrasse de la Villa UGC vautrée dans un canapé vue sur la baie, les plateaux de charcuterie fromage arrosés au champagne au Silencio (ah du vrai fromage et du vrai jambon blanc !), les lunches sur le bateau d’Arte et les projections officielles c’est quand même très « overrated ». Biensûr, Jean-Marc G. vous dira que discuter avec JR, le photographe hein, pas celui de Dallas… c’est sympa, surtout quand tu peux par la même occasion reluquer du coin de l’œil Vanessa Paradis.
Bref, ils sont nombreux ceux qui courent après les soirées branchées tel ce jeune homme franchement éméché croisé à 3 ou 4 heures du matin et que connaissaient nos amis JB et Aude : « je cherche Nico, parce qu’hier on a réussi à rentrer chez Albane. Nico il a dit au videur : « moi chez Albane j’y dors, et ben tu m’croiras ou pas, on est entrés » ». Il vous racontera ensuite comment il a réussi à s’incruster dans la soirée Spielberg ? sur un bateau. « Ah oui ? baille La Desperate Housewife, après 4 heures du mat moi c’est dans mon dodo que j’ai envie de m’incruster ».
Vu de loin, Cannes a l’air très glamour. Vu de près, cela me rappelle une citation de Balzac dans la Duchesse de Langeais : « Le Français, plus que tout autre homme, ne conclut jamais en dessous de lui, il va du degré sur lequel il se trouve au degré supérieur : il plaint rarement les malheureux au-dessus desquels il s’élève, il gémit toujours de voir tant d’heureux au-dessus de lui. ». Il y a en effet toute une hiérarchie à Cannes qui se matérialise par la couleur de ton badge ou celle de ton invitation. Et tout le monde, quel que soit le barreau de l’échelle (ou de l’escabeau au pied des Marches) sur lequel il se trouve, aimerait bien passer au barreau supérieur, quitte à écraser son prochain. Tout en bas il y a – selon que vous préférez les références japonaise ou indienne – les burakumin ou les intouchables du festival : ceux qui n’ont pas de raison professionnelle de venir à Cannes et qui n’ont donc aucune accréditation. Ils sont pourtant prêts à tout pour prendre en photo une star vue de loin quand tout bon Gala lu chez le coiffeur ferait aussi bien l’affaire. Et pourtant ils s’agrippent derrière les barrières pour admirer les gens normaux – comme la desperate housewife – qui se rendent grâce à une invitation magique à une séance officielle du Grand Théâtre Lumière. Quand tu es du bon côté de la barrière, tu prends évidemment un air blasé car cela fait 15 ans que je viens, j’ai encore l’air jeune pourtant mais franchement le film a intérêt à être bien sinon je me casse au bout de 10 minutes.
Tout en haut de l’échelle, il y a les stars : là il n’y a même plus de protocole. Alors que les desperate housewives de base qui oseraient se présenter sans talons seraient invariablement écartées du tapis rouge, une Julia Roberts peut monter pieds nus. Mais il y a aussi les stars déchues voire ceux qui n’ont jamais vraiment été des stars. Prenons l’exemple de Bernard Menez, qui n’a pas joué que dans des navets mais beaucoup quand même, il réussit encore par on ne sait quel miracle à se faire inviter… On peut le croiser sur la croisette avec sa tête de prof de maths.
Comme je suis magnanime, je vais vous expliquer le secret pour passer un Cannes réussi quand vous n’êtes ni une star – même déchue-, ni journaliste, ni attachée de presse, ni stagiaire chez un distributeur, que vous avez un physique correct mais quelconque…. Mon secret ? l’ANTICIPATION. Quand je dis « anticipation », je parle de 20 ans. Et oui, il suffit d’épouser un « potentiel », un type dingue qui 1) a un ami banquier dans le cinéma, JB, un type très sympa quoique banquier et qui 2) est producteur associé de Veilleur de nuit. Dans la mesure où Veilleur de nuit a été créée par son ami Jean-Marc G, qui a laissé tomber un métier de consultant pour produire des documentaires, il peut arriver que l’associé en question ait la bonne idée de proposer un projet à Jonathan Littel… CQFD.Voilà, ni vu ni connu, tu te retrouves dans l’entourage d’une équipe dont le film est dans la sélection officielle. Ce n’est pas sorcier, mais il faut avoir du flair : avant de s’intéresser au théâtre et au cinéma, le type que tu as épousé s’intéressait d’abord au football. Or les matches, même de coupe du monde, ça t’intéresse moins. Sinon, l’alternative est terrible. Il faut faire des heures de queue devant des salles où tu passes derrière ceux qui ont des invitations, ceux qui ont des badges rose, jaune, … et bien qu’ayant attendu 2 heures, tu peux te faire claquer la porte au nez au dernier moment. Tu peux aussi mendier. Mais attention on mendie chic à Cannes : tenue de soirée pour ces dames, smoking pour ces messieurs. Après quelques heures, tout cela est un peu défraichi mais c’est pas grave, le soir ça ne se voit pas.
Pour finir sur le fond après l’écume, à Cannes dans les files d’attente, on croise aussi des vrais amoureux du cinéma qui s’intéressent aux films. Comme ce jeune homme qui donnait son avis sur la sélection, en anglais avec un accent du sud de la France à des distributeurs russes. L’ayant entendu dire qu’il avait apprécié « Wrong Elements », nous avons entamé la conversation. Il s’est présenté comme un fournisseur du festival, qui depuis 11 ans s’enfile 4 films par jour à Cannes. Il ne connaissait ni Jonathan Littel (il lit peu), ni le sujet du film, les enfants soldats en Ouganda, et pourtant il était allé voir le film. Il nous a dit en rigolant qu’il n’était qu’amateur mais que contrairement à ses potes, il aimait voir d’autres films que les blockbusters.
Voilà en résumé, grand ou petit, star ou plèbe, amateur de paillettes ou de films, n’oublions jamais : « memento mori » et ou autrement dit « Sic transit gloria mundi ». Pour mon cher mari plus précisément : ce n’est pas parce que tu as fait Cannes, que tu ne feras plus la vaisselle…