Lundi c’était Columbus day, qui commémore la « découverte » de l’Amérique le 12 octobre 1492 par … Christophe Colomb. Ce jour férié reste l’un des plus controversés aux US. Si les uns chérissent ce symbole nationaliste, en particulier les italo-américains, les « Native Americans » se battent depuis les années 70 contre la célébration d’un homme qui a mis en esclavage et tué des milliers « d’Indiens ». Dans un article publié dans le Smithonian magazine en 2015, B. Handwerk souligne que l’ardeur initiale pour Christophe Colomb, née au moment de la Révolution américaine, n’est pas tant liée aux qualités intrinsèques du navigateur qu’à la volonté des Américains de trouver pour leur nation naissante un héros qui fût tout sauf britannique. John Cabot, italien lui aussi, et le premier Européen à avoir vraiment mis les pieds sur le Continent en 1497 avait un défaut majeur : il naviguait sous le mauvais pavillon. Columbus occupera donc le premier chapitre de l’histoire américaine. Peu importe que les « Native Americans » aient vécu sur le continent pendant plus de 15 000 ans avant lui. Peu importe aussi qu’il n’ait jamais mis les pieds en Amérique du Nord ou qu’il ait été précédé notamment par des Vikings au XIème siècle, …. Il devient un outil de propagande patriotique, le symbole de la mission civilisatrice américaine. Son nom va même servir à marquer le début de l’Histoire de l’Amérique : la période avant 1492 deviendra ainsi pré-colombienne ». La figure allégorique « Columbia », fille étymologique du grand navigateur, reprendra son flambeau pour éclairer le reste du monde. Qui ne connaît pas au moins la Columbia de Columbia Pictures ? Tout se Columbia-ise : le King’s College devient…. Columbia en 1784, la Capitale de Caroline du Sud aussi, et bien sûr la capitale des Etats-Unis devient Washington District of Columbia. C’est peut être grâce à Washington Irving, en 1827, que se grave dans le marbre le détail de la légende avec sa biographie « The Life and Voyages of Christopher Columbus.
Les poésies fleurissent pour que les petits américains apprennent la vie du héros par cœur :
« In fourteen hundred neintety-two
Columbus sailed the ocean blue
He had three ships and left from Spain
He sailed through sunshine, wind and rain.
October 12 their dream came true,
You never saw a happier crew!
« Indians! Indians! » Columbus cried;
His heart was filled with joyful pride.
But « India » the land was not;
It was the Bahamas, and it was hot.
The Arakawa natives were very nice;
They gave the sailors food and spice.
Columbus sailed on to find some gold
To bring back home, as he’d been told.
He made the trip again and again,
Trading gold to bring to Spain.
The first American? No, not quite.
But Columbus was brave, and he was bright.
« Brave » Columbus ? A voir. Dans son livre « Lies my teacher told me » sous-titré « Everything Your American History Textbook got wrong, » réédité en 2007, J. W. Loewen – en analysant un certain nombre de manuels scolaires – montre que de façon assez généralisée, l’enseignement de l’histoire jusqu’en fin de High School vise d’abord à rendre les jeunes élèves américains fiers de leur héritage historique. Christopher Colomb fait partie des vignettes qui permettent d’éduquer les jeunes citoyens américains. Les livres oublient donc souvent des faits qui pourraient ne pas correspondre au message moral que l’on veut transmettre. Ainsi Hellen Keller sert à montrer que – même pour une pauvre petite fille aveugle et sourde de naissance – le rêve américain est possible à force de travail et de volonté. Il n’est donc pas indispensable de raconter les trois quarts de sa vie : celle d’une militante socialiste radicale (beurk !) qui explique que la réussite n’est pas toujours accessible à tous de manière égalitaire et qu’elle-même a pu s’en sortir pour des raisons liées à son environnement social. Les manuels n’hésitent pas à raconter que sans Colomb, symbole du progrès et d’un avenir meilleur lié au développement technologique, nous penserions encore que la Terre est plate (sa rotondité a en fait été démontrée pendant l’Antiquité…). Les manuels oublient en revanche qu’il fut un gouverneur brutal des Iles Caraïbes, qui commit des atrocités contre les indigènes à Haïti ou à Cuba. Evidemment, on ne peut pas juger des faits du 15ème siècle avec une morale du 21ème siècle, mais les chiffres montrent que si progrès il y a dans la conquête des « Indes », ce progrès bénéficie surtout aux colonisateurs. Les « Indiens » sont les victimes de ce qu’on appellerait aujourd’hui un …génocide : alors qu’en 1496, il y avait 1,1 million d’indiens à Haïti (et encore sans doute bien plus dans le Haïti pré-colombien), en 1516 il n’en restait plus qu’un peu plus de 10 000. La cruauté de l’occupation de Cuba sera dénoncée par Bartolomé de las Casas, un prêtre espagnol dont le père avait accompagné Colomb et qui se rendra à son tour dans le nouveau monde.
Dans son livre « An Indigenous Peoples’ history of the United States » Roxanne Dunbar Ortiz qui raconte l’histoire américaine vue du côté des Native Americans, cite Marx en exergue du chapitre « culture of Conquest ». Qu’on aime Marx ou pas, sa citation résume assez bien la situation : « La découverte des contrées aurifères et argentifères de l’Amérique, la réduction des indigènes en esclavage, leur enfouissement dans les mines ou leur extermination, les commencements de conquête et de pillage aux Indes orientales, la transformation de l’Afrique en une sorte de garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà les procédés idylliques d’accumulation primitive qui signalent l’ère capitaliste à son aurore. ». Comme le souligne aussi Dunbar Ortiz, les colonisateurs expriment un zèle chrétien pour justifier leur avidité. Vous me direz que les marxistes n’ont pas fait mieux depuis … Soit.
Espérons que le livre de Loewen aura permis que l’enseignement devienne plus objectif… Pourtant en 2016, Colomb reste le symbole du progrès pour les Américains. Dans son adresse sur l’Etat de l’Union en janvier dernier, Obama continuait à citer son nom pour montrer le côté réactionnaire des opposants à l’idée du changement climatique qu’il comparait à ceux qui croyaient que la Terre était plate du temps de Colomb …Quand on aime un cliché on s’y tient. Dans le magazine online que Jade affectionne, « Brain pop junior », la vidéo sur Colomb mentionnait certes les atrocités commises (dans un langage adapté à des enfants de 9 ans) mais indiquait à la fin que les faits donnait lieu à controverse et c’était à l’enfant de se faire son avis en allant chercher de l’information sur internet… où – c’est bien connu – la vérité règne. C’est aussi ce que doivent recommander les profs qui enseignent à leurs élèves les théories créationnistes … Il faut dire que en 2016, tous les Américains ne savent pas encore que Darwin a existé. Certains croient d’ailleurs toujours que la Terre est plate.
Pour revenir à Columbus day, heureusement tous les citoyens ne s’arrêtent pas au cours d’histoire de High School et certains étudient l’histoire au College. De plus en plus d’Etats et de villes rebaptisent le jour férié « Indigenous People’s day » pour honorer l’histoire des peuples indigènes. Des voix continuent à s’élever contre ce qui est considéré comme un des effets pervers du politiquement correct. Les Américains d’origine italienne d’abord, qui avaient utilisé ce jour férié pour célébrer leur apport à la patrie et ainsi lutter contre les discriminations dont ils étaient eux-mêmes victimes au 19ème et au début du 20ème siècle de la part de leurs concitoyens (on est toujours l’Arabe, le Juif, l’Indien, le Noir, la femme… d’un autre), ne veulent pas abandonner leur navigateur et leurs parades annuelles. Il n’y a pas de solidarité dans la lutte contre les discriminations !
Quant aux « vrais » blancs, ni Irlandais, ni Italiens… ils n’abandonnent pas tous non plus le morceau. Le City Council de Cincinnati a refusé mercredi dernier de céder à la mode. Interrogés sur ce sujet sur Fox New, la télé à regarder pour comprendre la télé qui vote Trump, des intervenants rappelaient très sérieusement que c’était grâce à Christoph Colomb que les Américains avaient tous une identité commune et reprenaient joyeusement le fameux cliché du progrès. Une citation datant d’octobre 2015 de Carli Fiorina (ex patronne de HP et candidate malheureuse aux primaires du GOP), retrouvée sur internet, résume là-encore les débats : « Columbus time is not for us a time to dwell on the mistakes of the past. This is a Holiday for us to celebrate exploration, discovery and all those things that make our country great. If it were not for the historic voyages of Christopher Columbus, we would all be speaking Indian and work in Casinos». Un des intervenants sur Fox News s’énervait même contre la tendance actuelle à tout rapporter à la race. Et oui, pour le white angry man lambda, le racisme est d’abord anti-blanc et ce ne sont pas les blancs qui ont inventé le racisme. En tous cas pas Christophe Colomb qui rapportait dès son deuxième voyage que les Indiens, qu’il avait précédemment trouvés si gentils, étaient finalement totalement stupides et très méchants. Forcément, ils se révoltaient quand on leur coupait les mains parce qu’ils ne trouvaient pas d’or (Colomb avait un peu survendu la quantité d’or qu’il pouvait ramener à Isabelle de Castille). Pour conclure le débat sur Fox News (si on peut parler de débat quand le seul interlocuteur en faveur de la mesure de rebaptiser le jour férié, un noir, ne pouvait pas en placer une, sous les quolibets de ses petits camarades blancs), l’une des interlocutrices, après avoir ironisé « pourquoi ne pas supprimer le 4th of July car cela pourrait offenser les Américains d’origine britannique ? » concluait brillamment la discussion : « there are more important things than this. Let’s concentrate on bigger issues. ». Trump n’est pas le seul à ne pas savoir que pour faire des « vraies » excuses, il ne faut pas minimiser la faute commise.