« Now [might be] the winter of our discontent » Shakespeare, Richard III.

A la veille du D day, dernière chronique sur Trump ? Qui sait si dans deux jours cela sera encore permis, qui sait si dans deux jours nous ne serons pas obligés de retourner en France ? La psychose récente des clowns maléfiques faisant peur aux enfants serait-elle la métaphore de ces élections : ce qui a commencé comme une farce pourrait-il se transformer en film d’horreur ?Est-ce une coïncidence si plusieurs metteurs en scène ont monté récemment Richard III alors que les leaders populistes ont le vent en poupe dans tant de pays ? Le parallèle entre le méchant héros shakespearien et Donald Trump est remarquablement analysé par Stephen Greeblatt, professeur à Harvard, dans une chronique récente du New York Times, “Shakespeare Explains the 2016 Election,” (1) : « In the early 1590s, Shakespeare sat down to write a play that addressed a problem: How could a great country wind up being governed by a sociopath? ».

Il suffit juste de changer les dates et le pays pour que la question reste d’actualité : comment un pervers narcissique, fondamentalement incompétent et sans programme – si ce n’est celui de devenir tyran ? – pourrait-il potentiellement devenir président des Etats-Unis ?
Alors que l’article de Greeblatt analyse comment ce sont ceux qui entourent le tyran qui par leur attitude contribuent à son ascension, je me suis amusée à tirer quelques parallèles entre les stratégies des deux personnages Richard/Donald.
Première question : D’où vient la vocation du would-be-tyran ? Richard se confie au spectateur dans le monologue d’ouverture. Difforme, il ne pourra jamais prétendre au rôle d’amant ; il se choisit donc le rôle du « vilain ». Nous apprendrons ultérieurement qu’il a manqué d’amour maternel. Certes la coiffure de Trump est hautement ridicule mais son refus d’accepter les outrages du temps ne peut pas expliquer à lui seul sa pathologie. Moi qui n’ai absolument aucune compétence psychologique, je parierais qu’il a été écrasé par un père ultra-autoritaire qui le méprisait et qu’il veut égaler en vain. J’en tiens pour preuve une petite anecdote lue dans une interview de l’une de ses anciennes femmes. Elle expliquait comment Donald l’avait sévèrement sermonnée après un déjeuner familial au restaurant en compagnie du Pater Familias. La jeune femme avait refusé de se plier au menu unique imposé par Trump Senior : elle avait commis le sacrilège de préférer un poisson au steak de rigueur. CQFD. Voilà pour les motivations. Là n’est pas l’essentiel.

Revenons donc à la question : comment un « sociopathe » pour citer Greeblatt est-il sur le point d’arriver à ses fins ? Résumons : le sociopathe sait éliminer avec acharnement tout ce qui le sépare du pouvoir. Richard comme Trump sont originellement des outsiders : leurs adversaires paraissent infiniment mieux placés dans la course au pouvoir. Pourtant Richard arrive à éliminer de manière méthodique tous ceux qui seraient plus couronnables que lui et ils sont nombreux ! Quand la pièce débute, il a déjà éliminé Henri VI et son fils, le Prince Edouard. Il ne lui reste plus qu’à éliminer dans l’ordre Edouard IV son premier frère devenu roi à la mort d’Henri VI, Clarence son second frère, les deux enfants d’Edouard IV, ainsi qu’un certain nombre de personnages secondaires. Accessoirement pour asseoir entièrement sa légitimité, il épousera d’abord Lady Anne, veuve du Prince Edouard et bru d’Henri VI, avant de l’éliminer pour tenter d’épouser Elisabeth, fille d’Edouard IV. Le résumé pour Trump est plus facile : il a pris d’assaut le parti républicain et éliminé 16 rivaux, les uns après les autres avant de s’attaquer à Hillary.

Le sociopathe utilise essentiellement deux armes : la peur et le mensonge. Il doit d’abord convaincre son auditoire que l’apocalypse menace et que le monde a besoin d’un Sauveur, en l’occurrence lui : « I cannot tell the world is grown so bad ». Si c’est Richard qui parle ici, on croirait entendre Trump. Que ce soit dans l’Angleterre du 16ème siècle où dans les Etats-Unis du 21ème siècle, l’ennemi est à l’extérieur et à l’intérieur. Chez Trump toute la situation se résume en «it’s a mess » ou « it’s desastrous » : l’économie, la politique étrangère, l’Obamacare, l’état de l’armée, la violence urbaine. Que la réalité des faits ne soit pas aussi catastrophique qu’annoncé peu importe, il s’agit de faire peur et de faire croire qu’on a besoin d’un Sauveur autoritaire qui va tout résoudre à coup de pensée magique et autoritaire résumée dans le fameux « make America Great Again ».

Le magicien doit cependant cacher qu’il est en fait un charlatan et se faire un cv à la hauteur de sa promesse. En bon pervers narcissique, le would-be-tyran se peint avec des qualités qu’il n’a pas forcément. L’excellent film « Richard III » de Richard Loncraine avec Ian McKellen dans le rôle éponyme (2)  l’illustre parfaitement : une fois au pouvoir Richard III se pavane devant un tableau géant qui le représente en majesté alors que lui même est petit, laid et bossu. 2050Richard III/Ian McKellen et Trump partagent un goût pour le style pompier : Ian McKellen est peint en uniforme nazi (l’histoire est transposée dans une Angleterre pré-nazie du début du 20ème siècle), Trump se fait représenter en tenue de tennis ou de golfe à l’ancienne : pantalon et pull blancs. trumpportrait-474x640Le tyran se vante aussi d’exploits imaginaires : Richard se fait passer pour pieux pour se faire couronner, Trump prétend qu’il a fondé un empire gigantesque même si beaucoup doutent de la solidité de celui-ci : il a fait, entre autres, faillite six fois, et il a un peu tendance à confondre chiffre d’affaires et résultat, histoire de gonfler les chiffres. Alors quand il veut gérer les Etats-Unis comme son empire, cela peut faire peur.

Alors que lui-même n’a pas de crédibilité, le would-be tyran veut décrédibiliser son opposant : Buckingham, son éminence grise, suggère à Richard de répandre la rumeur que les enfants d’Edouard sont en fait des bâtards… Trump affirme que le système est pourri (rigged) et que Hillary l’est aussi (crooked).

La meilleure défense étant l’attaque, le sociopathe attribue ses propres défauts au clan d’en face. Ecoutons Richard : « I do the wrong and first begin to brawl. / Je fais le mal et je suis le premier à brailler./ The secret mischiefs that I set abroach / Les méfaits que j’accomplis en secret, je les rejette
I lay unto the grievous charge of others./ Comme autant de charges accablantes sur d’autres. »
Plus c’est gros plus ça passe : Richard qui a fait tuer son frère Clarence reproche implicitement au roi Edouard IV d’être responsable de sa mort. Il fait ainsi d’une pierre deux coups puisqu’Edouard IV, affaibli par la maladie meurt sous le poids de la culpabilité. Trump de son côté accuse Hillary d’avoir lancé le birther movement, d’avoir mené une campagne polarisée sur les insultes, …

Pour s’attirer des supporters, le would-be-tyran multiplie les promesses qu’il ne tient évidemment pas. Richard promet à Buckingham les terres de son frère mais se fâche quand Buckingham lui réclame son dû car il n’est pas dans le « mood ». Une fois Buckingham éliminé, il promet aussitôt à l’assassin de ce dernier qu’il va réaliser ses désirs. Trump excelle à ce jeu : nombreuses sont les histoires de fournisseurs qu’il n’a pas payés dans son business. Si Carly Fiorina, Chris Christie et autres Guiliani se sont ralliés à lui, peut être leur avait-il promis la place sur le ticket qu’il a finalement attribuée à Pence. On les entend moins depuis.

Enfin quand le mensonge ne suffit plus, la force et les menaces prennent le pas. Le tyran se méfie de tout le monde. Ceux qui ne le suivent pas sont des traîtres qu’il faut éliminer. Richard est un expert en chantage, il kidnappe le fils de Lord Stanley pour le dissuader de rejoindre le camps adverse et il impose sous la menace à Elizabeth, veuve d’Edouard IV de lui donner sa fille en mariage sous peine de chaos général pour elle et le royaume : « Death, desolation, ruin and decay », rien que ça. Trump a menacé les sénateurs et députés qui ne le soutenaient pas des pires représailles. Il avait déjà menacé de venir accompagné de ses supporters armés à la convention du parti républicain afin de s’assurer que les délégués votent bien pour lui.

Si le bully insulte tout le monde, il a une affinité particulière pour les femmes : « wrinkled witch » lance Richard à Margareth veuve d’Henri VI. « Nasty woman » rétorque Trump à Hillary en plein débat présidentiel télévisé. Pour souligner le parallèle, Ivo Van Hove dans son « Richard III » (3ème partie de son « Kings of War » joué ces jours ci au BAM à Brooklyn) fait dire à un autre personnage en parlant de Margareth : lock her up, ce qui n’est pas – à ma connaissance – dans la pièce ! Le would-be-tyran a pourtant besoin des femmes pour arriver au pouvoir. Comment ne pas faire le parallèle entre Richard qui se lance dans une scène de séduction de Lady Anne (dont il a tué le beau-père et le mari) et Trump qui veut séduire l’électorat féminin tout en se faisant prendre régulièrement la main dans le sac ou ailleurs de jeunes femmes peu ou pas du tout consentantes ? Là encore plus c’est gros plus ça marche : Richard arrive à ses fins et le spectateur constate avec horreur qu’Anne se laisse séduire par les arguments massue du monstre : c’est d’abord par bonté d’âme, pour lui trouver « a better husband » en l’occurrence lui-même, qu’il l’assaille et ensuite parce que « your beauty was the cause of that effect ». On en revient toujours là : la faute originelle revient à Eve. Rebelotte, Richard recommence avec Elizabeth, femme d’Edouard IV. Alors qu’elle lui demande ce qu’il peut encore lui prendre vu qu’il a déjà tué son mari et ses deux fils, il lui lance « your daughter ». Et s’il faut tuer Anne pour y arriver qu’à cela ne tienne vu qu’elle est malade. Note du 15 janvier 2017 : Trump a été élu par 53% des femmes blanches…

Le sociopathe a un sentiment d’impunité totale. Une fois devenu roi, Richard peut tout se permettre car « […] the King’s name is a tower of strength ». Dans la cassette scandaleuse où il se vante de ses exploits sexuels, Trump prétend que les célébrités peuvent tout se permettre avec les femmes, y compris les saisir par le « pussy ». Richard III comme notre Trump sont des obsédés du kiss : Richard – alors qu’il vient d’essayer de forcer Elizabeth à lui donner sa fille – clôt le deal par un baiser pas vraiment consenti : « Bear her my true love’s kiss… ». Elizabeth pourrait dire comme une victime de Trump « He kissed me directly on the lips. I thought : Oh my gosh. Gross ».
Le sociopathe ne s’excuse pas car il n’offense jamais personne et quand il s’excuse, il menace : « Have I offended someone ? / When have I done you wrong ? » dit Richard. Quand Trump s’excuse, il explique que ce qu’il a fait est moins grave que ce qu’a fait le mari de son adversaire (et hop encore la même stratégie) et qu’il y a des choses bien plus graves dans le monde.

Paradoxalement, dans Shakespeare comme dans les élections, le mensonge est totalement visible. Le public sait tout : Richard l’informe par ses apartés : « Plots have I laid, inductions dangerous … to set my Brother Clarence and the King / In Deadly hate, the one against the other ». Une fois le crime commis, il se gausse de ses victimes comme Lady Anne qu’il vient de séduire : « Was ever woman in this humour wooed ? / Was ever woman in this humor won ? I’ll have her but I will not keep her long ». N’est-ce pas le même cynisme que celui d’un Trump qui pour se défendre d’avoir peloté des femmes s’excuse apparemment devant la presse tout en se vantant par ailleurs devant ses supporters « Look at her » pour montrer qu’il ne pourrait en aucun cas avoir peloté une femme aussi laide. Par là même il ne nie pas qu’il aurait pu faire la chose, juste qu’il n’aurait pas pu le faire sur cette femme-là. En résumé belle ou laide, la femme est soit victime de ses pattes sales soit de ses moqueries, soit les deux.

Le would-be-tyran et menteur ne gagne pas parce qu’il ment bien, mais parce que les gens ne semblent pas tenir compte de ses mensonges qui se voient pourtant comme le nez au milieu de la figure. Les électeurs de Trump se répètent ad nauseam et ce malgré l’évidence de ses mensonges qu’il est le seul qui « says it as it is ». Ils veulent croire qu’il va tout résoudre et par exemple ramener les jobs de l’industrie automobile dans le midwest. Les crédules ne comprennent que trop tard leur erreur : Clarence en mourant croit toujours que son frère « is kind ». C’est ironiquement l’un de ses meurtriers qui lui ouvre les yeux en les lui fermant : il est kind « […] as snow in harvest (comme la neige pour la moisson) […] ». Aux électeurs naïfs, on a envie de citer les mots d’une victime de Richard qui ne doute pas que tout va bien pour lui alors que sa mort est déjà planifiée : «The boar (blason de RIII) will use us kindly ».

Comme le décrit Stephen Greeblatt, il y a aussi des lâches ou des gens sans conscience. Les pires sont sans doute ceux qui ont laissé la créature se développer en pensant qu’ils allaient pouvoir la contrôler. Chez Shakespeare c’est Buckingham qui est presque aussi amoral que Richard. Les amis du would-be tyran veulent d’abord asseoir leur propre pouvoir, comme tous ses députés et sénateurs républicains prêts à tout pour défendre Trump, pourvu qu’eux-mêmes puissent être réélus. Ils se croient plus malins que tout le monde. Ils ont créé le monstre et vont pouvoir le contrôler pensent-ils. Mais ceux-là sont aussi naïfs que les autres. Buckingham ne comprend pas – malgré l’avertissement de Margareth – que Richard le trahira comme il a utilisé puis trahi tous ses amis d’un jour.
Il y a donc finalement peu de résistance face au sociopathe. Certains l’abandonnent quand ils sentent que le vent tourne. Mais tout le monde n’a pas la même vision du moment auquel le vent tourne. La tolérance des républicains a été grande avant qu’on ne réprouve ses propos contre les femmes, contre les mexicains, contre les musulmans, contre les handicapés, contre tous ceux dont la tête ne lui revenaient pas…Un article du daily Maverick (un journal sud africain que je ne connaissais pas jusqu’à tomber sur cet article …) faisait même la comparaison avec les mots du poème du pasteur Martin Niemoller qui avait été déchu de ses fonctions parce qu’il avait protesté avec d’autres pasteurs auprès du synode contre le traitement réservé aux juifs par les nazis :
« Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas communiste.

Lorsqu’ils ont enfermé les sociaux-démocrates,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas social-démocrate.

Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes,
je n’ai rien dit,
je n’étais pas syndicaliste.

Lorsqu’ils sont venus me chercher,
il ne restait plus personne
pour protester. »

On aimerait bien croire que le would-be tyran paiera par où il a péché et que pour citer sa mère : « bloody thou art ; bloody will be thy end ». Mais selon les metteurs en scène qui modernisent la pièce, la fin est plus ou moins optimiste.
Dans la version de Shakespeare, la défaite de Richard III par Richmond (« a horse, a horse, my kingdom for a horse »…) met fin à la guerre civile, la guerre des deux Roses qui a divisé l’Angleterre. Un discours de Richmond qui annonce le rétablissement de la paix et de l’harmonie achève la pièce par ses deux vers : « Now civil wounds are stopp’d, peace lives again: That she may long live here, God say amen! » Tout est bien qui finit bien.

Dans son film Loncraine nous réserve une fin bien différente : Le film se termine certes sur la mort de Richard mais celui-ci en tombant dans le vide tend la main à Richmond (le futur Henri VII qui le défait lors de la bataille de Bosworth) et semble l’inviter à le rejoindre: « let us to it pell-mell if not to heaven, then hand in hand to hell. ». En déplaçant ce vers, Loncraine change toute la signification de la pièce. Tout est dit et le chaos est annoncé. Et comment interpréter le sourire de Richmond (le gentil héros) qui regarde le spectateur en souriant… ironiquement de façon imperceptible alors que Ian McKellen/Richard sombre dans l’abîme enflammé au rythme joyeux de la musique jazzy «I’m sitting on top of the world » ?

Espérons que cette fin ne soit pas la plus visionnaire…

« Richard III » (Riccardo III). Directed by Richard Loncraine, with Ian McKellen, Annette Bening, Jim Broadbent, Robert Downey Jr., Nigel Hawthorne,…
YOUTUBE.COM

Laisser un commentaire