Hier soir, panique à la maison. Je me suis engagée à apporter de la Cranberry sauce pour le repas
de Thanksgiving de la Lower School demain. J’ai changé de campus cette année : servir dans l’équipe Middle school / High school c’était ingrat : tes enfants font tout pour t’éviter. C’est trop la honte quoi ! Tandis que Jade, quand je lui ai dit que j’allais servir à Larchmont, elle m’a dit : « génial, t’es trop cool maman! ».
Elle sait y faire la petite pour « make Mom great again ». Bon, cette année, j’ai pris de l’assurance, pas besoin de gagner des points dans la communauté : pas de tarte maison pour moi (chut faut pas le dire quand je pense qu’il y a des mamans qui font cuire les dindes pendant des heures !). Moi j’ai bien lu le 39ème email, pour la Cranberry Sauce « can is fine » pourvu qu’on ouvre la boite… Faut pas me le dire deux fois. Yes we can ! Merci De Cicco, Cranberry sauce en boite oui mais ORGANIC. Mais, là, hier soir je réalise à 21H00 : merde on n’a pas de can opener. Ces américains, ils sont pas foutus de faire des boites de conserve à ouverture facile. Du coup, je prends un air atterré et dis à Jean-Charles : « tu ne saurais pas où ON a mis l’ouvre-boîtes ? ». Jean-Charles voyant ma mine déconfite commence à ouvrir chacun des tiroirs consciencieusement. Une fois le dernier tiroir refermé, il se retourne : « Bah, je ne sais pas ». Telle une grande héroïne racinienne, je cherche une réplique, je pense bien à « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » mais je me dis, non trop connu et puis quel rapport avec le Schmilblick…. Faudrait pas énerver Jean-Charles. Alors je cherche sur google et trouve : « Je ne me soutiens plus; ma force m’abandonne. » et, entendant le vent souffler dehors, j’ajoute, telle la Berma : « Mais quelle épaisse nuit tout à coup m’environne, / de quel côté sortir, d’où vient que je frissonne. – Bon ok arrête ton cinéma Andromaque, quel temps perdu ! je vais chez Steve et Jen » me coupe Jean-Charles. Et là intérieurement, je fais « Yesssss » mais murmure : « Oh merci mon chéri, tu es merveilleux ». Ensuite ni vu ni connu je t’embrouille je vide la boite dans un Tupperware et je prends une fourchette, je touille et assez satisfaite du résultat , je mets la sauce dans le frigo. C’est bon, on dirait du fait maison.

Ce matin, je cherche fiévreusement l’email de consignes pour l’équipe qui va servir. Après dix minutes de plongée sous-marine je remets la main dessus et là, douche froide : il faut apporter un plateau (bon ça, c’est ok : merci IKEA) mais il faut aussi un tablier. Ah oui merde j’avais oublié. Je n’ai que deux tabliers à la maison et comme la desperate housewife cuisine énormément – je veux dire à part à Thanksgiving – il est rare qu’ils soient très propres. Je me jure d’arrêter de prendre mon tablier rouge pour faire des gâteaux (du coup le tablier est maculé de farine blanche) et mon tablier blanc pour faire des spaghettis bolognaise. Pas le temps de faire une lessive, je mets la main sur le tablier blanc, tablier publicitaire Canal Plus fait spécialement pour la série Dexter avec quelques couteaux ensanglantés qui sortent de la poche centrale…Là où ça passait assez bien en Middle school, c’est peut être un peu limite pour la Lower School. Entre les tabliers à fleurs et à froufrous, impeccablement repassés des autres mamans ça va faire un peu tâche mais bon tant pis …il est tellement sale. Qui verra le détail ?
Sur place, je rejoins mon équipe de choc des mamans en charge de la table des 3rd grade C, la meilleure classe de l’école, en toute objectivité. Je retrouve Albane et Marine. Albane, fine mouche, a réussi à choper le meilleur poste : elle est « leader » de table. Encore une vision capitaliste de la répartition du travail : son rôle de leader ? manger avec les enfants pendant que Marine et moi allons servir. Bon, mais moi je suis « server », tout court. Heureusement dans l’échelle sociale de l’équipe PTA Thanksgiving y a pire : le « server runner », c’est l’OS du coin : ça c’est le job de Marine. Si j’ai bien compris, elle doit courir à la cuisine pour aller chercher la dinde, la gravy sauce, la purée, le stuffing, le corn bread, le maïs et les desserts. Mais ils la prennent pour Shiva ou quoi ? Alors nous on se réorganise. Tout le monde va chercher les plats et ensuite tout le monde sert ou presque car Albane a un petit coup de mou et s’assoit rapidement et en plus elle donne des ordres : « Laurence, je reprendrais bien un peu de Dinde, elle est hyper bonne ! Tu te rends compte, je savais pas que c’était les parents qui la cuisinaient. Moi je croyais que c’était un traiteur… ». Comme dirait Alexandra : « non mais Albane, tu lis tes emails ? t’es sûre que tu t’es pas trompée d’école ? T’es pas au LFNY ici. ». En tant que leader, Albane a un rôle majeur, celui de police de table. L’année dernière, c’était le Bronx : certains enfants avaient osé lancer de la nourriture à la fin du repas parce qu’ils s’ennuyaient un peu !!! Alors cette année, la nouvelle équipe a pris des mesures pour remettre de l’ordre dans l’inner city du Westchester. On sent que les élections ont eu des impacts à tout le niveau dans le pays. Par contre on est dans le Westchester alors on fait dans le politiquement correct : « Ask them to behave, tell them that it is not appropriate. » . Par contre, concernant la nourriture, « ne les forcez pas à manger la Cranberry sauce », parce que c’est un jour de fête, vous n’êtes pas là pour leur inculquer des bonnes habitudes alimentaires ». Ouf, ça me libère, finalement, s’ils ne mangent pas ma Cranberry sauce, personne ne saura qu’elle n’est pas faite maison !