(Where) To pee or not to pee that is the question… in Virginia in 1961. Prendre comme angle d’attaque le trou de la lunette des toilettes pour parler de Hidden Figures, il faut vraiment être desperate pour oser faire ça. J’avais initialement prévu ce détournement scatologique d’Hamlet pour une chronique sur la question Transgender mais est-ce ma faute si toutes les discriminations, raciales y-compris, commencent ou finissent dans les toilettes ?Fondé sur une histoire vraie, le film raconte le combat de trois scientifiques noires et talentueuses, Katherine Johnson (Taraji P. Henson), Mary Jackson (Janelle Monae) et Dorothy Vaughan (Octavia Spencer) qui s’efforcent de réussir à la NASA dans un monde misogyne et raciste. En 1961, les lois dites « Jim Crow » sévissent toujours dans les Etats du Sud : les noirs y sont – sans contradiction aucune « separate but equal ». Surtout « separate » et ce jusqu’à l’abolition de la ségrégation en 1964, cent ans après la fin de l’esclavage. A Langley, Katherine, Mary et Dorothy travaillent dans l’unité « black computers » (en 1961 « computer » fait référence aux humains) exilée dans un bâtiment périphérique. On ne confie à ce groupe de femmes noires que des calculs basiques. A priori pas d’avenir grandiose pour nos trois scientifiques. Qu’elles se le disent, c’est déjà pas mal qu’elles aient un emploi.
Heureusement pour elles, la guerre Froide va s’en mêler. Le 12 avril 1961, les Russes envoient le premier homme dans l’espace, Yuri Gagarine. En représailles, JFK lance le projet APOLLO pour envoyer des hommes sur la Lune. La NASA doit mettre les bouchées doubles pour rattraper le retard. Certes le premier ordinateur IBM arrive dans les locaux mais personne ne sait comment l’installer ou l’utiliser (devinez qui va s’en charger…). En attendant, les équipes chargées de calculer les orbites de lancement des fusées continuent de calculer « à la main » les trajectoires. Pour éviter de se faire coiffer sur le poteau par les Russes, la NASA va renforcer ses troupes : va pour des femmes, va pour des noires se dit le patron de l’équipe (interprété par Kevin Costner) qui a d’autres chats à fouetter que d’être raciste. Katherine est promue dans son unité. Mais là où Kevin regarde la Lune, ses sous-fifres regardent le doigt. Et le doigt de Katherine est aussi noir que le tableau où elle écrit ses calculs. Autant vous dire qu’elle est moyennement bien accueillie.
Une poubelle à vider atterrit dans ses bras le jour de son arrivée. Une cafetière (vide) étiquetée « colored people » tombe du ciel la nuit suivante. Il ne s’agirait pas qu’elle contamine ses collègues. Son chef direct lui donne à vérifier des calculs, qu’il a consciencieusement barrés au marqueur car elle n’est pas habilitée secret défense. Kevin, le grand chef, n’est pas au courant de ces vexations. Forcément il est dans la Lune. Katherine résiste.
Quoique très douée en calcul, Katherine a des faiblesses humaines et notamment une vessie qu’elle doit régulièrement vidanger. Or pas de toilettes pour les « colored people » dans le bâtiment principal. Katherine doit courir de l’autre côté du camp. Comme elle porte jupe et talons, elle perd 40 minutes à chaque pause technique. Pour rattraper son retard elle emmène ses dossiers, nombreux et épais. Imaginez la scène, surtout quand il pleut. Kevin s’aperçoit de ses longues absences et lui demande des explications. C’est la goutte d’eau qui fait déborder Katherine : elle a tout subi en silence mais soudain elle voit rouge. Quand il comprend, Kevin saisit sa hache (oui là j’exagère un peu), traverse le campus d’un pas décidé et défonce la pancarte « colored Ladies Rooms ». Il conclut son geste par une réplique magistrale : « at NASA everybody pees the same colour ». Et hop la boucle est bouclée. Je vous rassure quand même le film ne se résume pas à cela … mais je ne veux pas tout vous « spoiler ».
Parler de racisme n’est pas évident, surtout quand on veut faire un film grand public.
Hidden Figures réussit à montrer la cruauté de la ségrégation en faisant peu allusion à la violence physique. Outre les vexations déjà évoquées, il expose le fonctionnement des lois « Jim Crow » qui visaient à ré-installer juridiquement la ségrégation raciale tout en respectant le 14ème amendement (« No State […] shall [….] deny any person [ …] the equal protection of the laws »). L’exemple de Mary illustre les barrières administratives mises en œuvre pour « camoufler » les objectifs racistes. Mary veut devenir ingénieur mais sa chef lui sort un règlement de derrière les fagots de la NASA qui stipule que pour être ingénieur il faut avoir le diplôme de certaines écoles. Evidemment seules des écoles réservées aux blancs font partie de la liste. Il est assez ironique que deux acteurs, pendant la cérémonie des Golden Globes, aient confondu le titre du film en mélangeant « Hidden Figures » avec un autre film « Fences » (également interprété par des acteurs noirs) pour inventer un « Hidden Fences ». Alors ça oui des « Fences », il y en avait pour les noirs en 1961 mais « hidden » n’est pas l’adjectif qui viendrait en premier à l’esprit.
Hidden Figures est un film optimiste qui croit à la rédemption. Même si tous les personnages blancs ne sont pas autant dénués de racisme que John Glenn l’astronaute, ou que le personnage de Kevin Costner, tous changent ; ils ouvrent les yeux et adoptent avant l’heure le rêve de Martin Luther King que personne ne soit jugé « by the color of their skin, but by the content of their character ». Hidden Figures est un film drôle et distrayant qui peut être vu en famille. Le top du top, le voir à New Rochelle où toute autre ville avec une importante communauté noire. Cela met de l’ambiance dans la salle façon messe de Gospel. Les voisins rient, encouragent l’héroïne, lui donnent des conseils et applaudissent à ses prouesses. Certains rires pourtant sont un peu jaunes, comme lorsque Dorothy (Octavia Spencer) rembarre Kirsten Dunst qui interprète la chef raciste. Dunst dit à Dorothy enfin acceptée dans les toilettes blanches (tout se passe dans les toilettes je vous dis) : “Despite what you think, I don’t have anything against y’all,”. Dorothy lui répond “I know you probably believe that.”. La réaction de la salle montre que tout cela n’appartient malheureusement pas encore totalement au passé.
Espérons enfin que le spectateur blanc aussi sera inspiré par ces femmes cachées et oubliées jusqu’à ce film et qu’il pourra s’identifier avec fierté à ces héroïnes qui surpassent leurs collègues blancs et masculins par leur intelligence, leur courage, leur esprit d’équipe et leur absence d’ego, leur inventivité et leur humanité. Le film rappelle qu’elles ont aussi elles aussi participé à l’histoire des Etats-Unis. On pourrait dire d’elles qu’elles ont contribué par leur « small step for [a wo]man, one giant leap for mankind» Ce n’est quand même pas si souvent que le spectateur peut s’identifier à un héros positif qui soit une femme noire.
Hidden Figures : « women do things at NASA… not because [they] wear skirts.. but because [they] wear glasses ».