Un article intéressant de David Frum ex « speachwriter » de Georges Bush et commentateur politique néo-conservateur.
Il y esquisse un scénario d’évolution de la démocratie américaine à l’ère Trump : il ne prévoit pas la dérive vers un système fasciste (les dictatures idéologiques appartiennent au passé) mais le délitement progressif vers une kleptocratie ie un gouvernement qui favorise la corruption généralisée, l’octroi de faveurs économiques en échange d’un soutien politique que je traduirais par un « tu m’aides à me maintenir au pouvoir, tu fermes les yeux et ta gueule et je te donne une part du gâteau. ». Ce phénomène se multiplie dans divers pays rappelle Frum. Il analyse un moment la situation hongroise.
Selon Frum, Trump a les mains libres pour à la fois s’enrichir et enrichir ses « amis ». D’abord parce qu’il musèle le Congrès pour différentes raisons : 1) de nombreux Républicains lui doivent leur victoire et le GOP lui doit de posséder tous les leviers politiques 2) Trump n’hésiterait pas à faire exploser le GOP en créant son propre parti populiste en cas de résistance 3) Fox News, incontournable pour atteindre la cible républicaine, soutient Trump et servira de gourdin pour assurer la discipline si nécessaire 4) un scandale affectant le Président pourrait nuire au parti. Il est donc probable que de nombreux députés et sénateurs fermeront tout simplement les yeux en murmurant, au mieux, de façon inaudible quelques petites critiques sans conséquence. Ils l’ont déjà fait pendant toute la campagne sur les sujets de moeurs. Frum énumère aussi les faiblesses de la loi qui limite peu les conflits d’intérêt impliquant le Président. Il souligne enfin qu’un Président qui veut déjouer la loi dispose de pouvoirs conséquents : le droit de grâce (pour éventuellement amnistier sa famille et ses amis …), le droit de nommer et de virer de nombreux fonctionnaires des différents départements de l’administration fédérale, par exemple les procureurs généraux qui initient les poursuites judiciaires fédérales. En résumé, que ce soit dans l’administration ou au Congrès, qui osera s’attaquer à lui ?
A supposer qu’il y ait des courageux, Trump continue sa stratégie de diversion commencée pendant la campagne. Première tactique : apeurer le peuple en lui annonçant l’apocalypse prochaine. Les méchants sont désignés : externes (ISIS) et internes (criminalité). Trump a prétendu et continue à prétendre que le crime est rampant et augmente, … alors que les statistiques montrent le contraire. Cela fonctionne puisque 78% de ses électeurs croient que le crime a augmenté sous Obama. Trump ne va pas rassembler mais polariser : « In true police states, surveillance and repression sustain the power of the authorities. But that’s not how power is gained and sustained in backsliding democracies. Polarization, not persecution, enables the modern illiberal regime. By guile or by instinct, Trump understands this. » Trump va donc utiliser, voire encourager tous les troubles sociaux qui pourraient être déclenchés par les manifestations de ses opposants (Black Live Matters, féministes..) pour augmenter la peur, et allumer des contre-feux en cas de question embarrassante. Frum mentionne l’exemple du drapeau américain brûlé qui avait soulevé l’indignation de Trump juste au moment où des journaux posaient des questions sur les conflits d’intérêt touchant son gendre.
Deuxième tactique : à défaut de l’interdiction, la délégitimation de la presse qui sera stigmatisée comme « opposition » et présentée comme un organe partisan. L’intimidation des journalistes non amicaux amorcée pendant la campagne s’est accélérée dès la première semaine au pouvoir. Frum fait le parallèle avec ce qui s’est passé en Afrique du Sud sous le gouvernement Zuma : « The rulers of backsliding democracies resent an independent press, but cannot extinguish it. They may curb the media’s appetite for critical coverage by intimidating unfriendly journalists, as President Jacob Zuma and members of his party have done in South Africa. Mostly, however, modern strongmen seek merely to discredit journalism as an institution, by denying that such a thing as independent judgment can exist. ». Troisième tactique : l’utilisation volontaire et systématique du mensonge flagrant comme arme d’affirmation de son pouvoir. Frum cite une journaliste russe qui rapprochait Trump et Putin sur ce sujet : « In an online article for The New York Review of Books, the Russian-born journalist Masha Gessen brilliantly noted […] “Lying is the message,” she wrote. ““It’s not just that both Putin and Trump lie, it is that they lie in the same way and for the same purpose: blatantly, to assert power over truth itself.
Cette stratégie a plusieurs objectifs. Le premier consiste à entretenir la colère de ses supporters et démoraliser ses opposants : « A would-be kleptocrat is actually better served by spreading cynicism than by deceiving followers with false beliefs: Believers can be disillusioned; people who expect to hear only lies can hardly complain when a lie is exposed. ». Bref, dans un monde trumpiste de corruption endémique, de mensonge généralisé, d’intimidation des opposants, les critiques s’éteignent, le cynisme augmente et le public va se détourner du politique et se refermer sur la sphère privée. Trump table sur le désintérêt du peuple. Il a ainsi pu claironner que ses déclarations fiscales n’intéressaient personne.
Un délitement progressif et incrémental de la démocratie empêche que le public ne perçoive le danger et ce d’autant plus que la politique démagogique protectionniste prévue par Trump risque de plaire à court terme. La formation d’une résistance organisée et pérenne paraît compliquée. Vient à l’esprit l’image de la grenouille qui meurt quand la température de l’eau augmente trop lentement. Or les efforts doivent être multiples et répétés. La persévérance est clé. Le parti démocratique – Frum ne le mentionne pas dans cet article – est à bout de souffle. Le dommage créé par le trumpisme dépasse bien largement l’ère Trump selon Frum. Il ne s’achèvera pas avec la disparition du personnage. Il corrompt les principes mêmes de la démocratie : la nécessité de l’intégrité des acteurs de la sphère publique, la souveraineté de la loi. Frum craint que le parti Républicain ne sacrifie ces valeurs pour obtenir des avantages concrets à cours terme : réforme du système de santé, et réductions d’impôts.
Si ni le parti démocratique ni le parti républicain ne sont capables ou prêts à défendre la démocratie qui s’en chargera ? L’article interpelle le lecteur citoyen : What will you do ? Que le lecteur ne croie pas que les choses vont s’améliorer sans rien faire. Si tout finit bien, ce ne sera pas parce qu’il aura fermé les yeux mais parce que les citoyens auront résisté.
https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2017/03/how-to-build-an-autocracy/513872/