« Qualified Immunity » … Dites plutôt « herd immunity » pour la police américaine.

Que le fidèle lectorat de la Desperate Housewife du Westchester (qui se compte sur les doigts d’une main, allez … deux (mains pas doigts) les bons jours) se rassure, je n’ai pas l’intention de reprendre mes chroniques… Je continue de cultiver mon jardin : je regarde les fraises pousser et ça me prend beaucoup de temps. J’espère que je serai bien récompensée. Pour ceux que ça intéresse, une petite synthèse sur la notion de ‘qualified immunity’ qu’il n’est pas totalement inutile de comprendre en ces temps où une réforme bipartisane de la législation qui gouverne ou plutôt ne gouverne pas justement ….les violences policières contre les civils en général mais plus particulièrement contre les civils de ‘couleur’ (quoique sur cette notion relire le poème « l’homme de couleur » de Léopold Sédar Senghor) devient plus qu’utile. Ouf. Une phrase à la Proust, façon Westchester. On en perd son souffle. Une desperate housewife n’est pas très légitime pour parler de droit me direz-vous. True. Ce n’est pas une chronique, plutôt un condensé de quelques articles. J’espère que j’ai bien tout compris. Je vous mettrai quelques articles pour que vous vous fassiez votre propre idée…. Quand j’ai regardé la vidéo qui filmait les 8 minutes menant à la mort de George Floyd, je me suis demandé comment le policier pouvait agir ainsi tranquillement alors qu’il se savait filmé et agissait devant autant de témoins. Je ne parle pas de son absence de conscience morale ou de compassion.. non, non, …seulement du fait qu’il maltraitait tranquillement un autre être humain, visiblement sans aucune crainte des conséquences de son acte. La question se posait déjà dans bien d’autres cas, mais là de manière particulièrement évidente.

C’est ma fille Constance  qui m’a ouvert les yeux en me parlant d’un truc qui s’appelle la ‘qualified immunity’, tellement révélateur de l’impunité avec laquelle la police peut agir.

Il faut d’abord savoir que la plupart des procès contre les policiers se font ici au civil… or ces policiers ne sont quasiment jamais punis. Un petit peu d’histoire pour commencer.

Il était une fois… en 1871… pour lutter contre les crimes commis contre les noirs par le Ku Klux Klan (sous l’œil opportunément fermé de certains employés gouvernementaux voire avec leur aide plus ou moins active), les Etats-Unis permirent enfin aux citoyens d’attaquer ces mêmes employés en justice. Oui mais voilà en 1967, la Cour Suprême décida de limiter cette loi afin que les policiers ne se fassent pas attaquer s’ils agissaient de bonne foi pour faire appliquer la loi. Comprenez ‘pour protéger les policiers qui maltraitaient les noirs pour faire respecter la loi’ …. Elle (la Cour Suprême) introduit donc une nouvelle doctrine, la notion de « qualified immunity ».  Celle-ci sert désormais de bouclier magique aux policiers quand ils sont accusés d’avoir fait un usage de force disproportionné. Même quand les faits établissent clairement que la police a commis un tel abus, les cours de justice accordent souvent l’immunité à la défense.

Les cours doivent répondre à deux questions pour fonder leur décision :

  1. Y a-t-il une preuve qui montre l’usage excessif de la force en violation du 4ème amendement. Vous savez celui qui protège le citoyen contre les arrestations abusives et autres actes du même acabit…Each man’s home is his castle. Enfin surtout pour les blancs, demandez à Breonna Taylor tuée le 13 mars dernier à Louisville Kentucky par des officiers de police ayant pénétré chez elle pour fouiller son appartement à la recherche de drogue… ‘(they) shot her at least 8 times, killing her on the spot. (No drugs were found)”. NYT 2 Juin 2020.
  2. Est-ce que les policiers auraient dû savoir qu’ils ne respectaient pas une loi ‘clairement établie’ ?

Cette deuxième question fait référence à l’existence d’un précédent qui aurait déjà jugé que des actions de police similaires étaient illégales. C’est là que le bât blesse… Nous reviendrons sur le sujet.

Paradoxalement, alors que la présence de témoins avec des caméras de téléphone portable, permet de mieux en mieux de prouver le premier point, les cours d’appel ont selon Reuters eu de plus en plus tendance à accorder l’immunité y compris dans des cas où les faits établissaient clairement un usage abusif de force : de 2005 à 2007 dans 43% des cas, ce qui parait déjà incroyable… mais mieux, de 2017 à 2019 dans 57% des cas. Il faut dire que les ‘rulings’ de la Cour Suprême ont fortement contribué à cette tendance. Je vous laisse lire l’article de Reuters sur ce dernier point.

Revenons à la notion d’ « illégalité clairement établie ». Pour établir l’illégalité d’un acte, il ne suffit pas qu’un acte contrevienne à une loi …. Il faut qu’un acte similaire ait été jugé illégal par la justice constituant ainsi un précédent. Cela parait déjà étonnant : un meurtre, un vol ne sont-ils pas des actes illégaux…que quelqu’un d’autre ait déjà ou non commis ces actes ? Mais la Cour Suprême a de plus contribué à rendre cette notion de plus en plus étroite. Pour établir que les faits sont ‘clairement illégaux’, on ne regarde pas seulement l’acte mais les conditions précises de réalisation. A titre d’exemple, la distance de tir, le lieu du tir, la réaction de la victime, le type de victime… sont donc aussi des critères. Les cas cités par Reuters sont édifiants par exemple : “In February, the federal appeals court in Cincinnati, Ohio, granted immunity to an officer who shot and wounded a 14-year-old boy in the shoulder after the boy dropped a BB gun and raised his hands. The court rejected as a precedent a 2011 case in which an officer shot and killed a man as he began lowering a shotgun. The difference between the incidents was too great, the court determined, because the boy had first drawn the BB gun from his waistband before dropping it.”  

 …. Le pire reste à venir. Depuis 2009, la Cour Suprême permet au juge (arrêt Pearson v. Callahan) d’ignorer la première question de la violence excessive pour se focaliser sur la question de l’illégalité clairement établie. Cela peut paraitre anodin, sauf que les conséquences ne le sont pas.  Si une Cour accorde l’immunité à un policier faute de précédent mais ne juge pas si la violence était excessive, dans ce cas-là, elle n’établit toujours pas de précédent…  auquel de futurs cas pourraient faire référence. Donc, non seulement tout policier qui commet un crime ‘nouveau’ peut tranquillement échapper à la justice mais ce type de crime restera ‘nouveau’ ad vitam aeternam puisqu’il ne sera jamais permis d’établir de précédent. Vous me direz, ces faits illégaux devraient être punis au pénal. Encore faudrait-il qu’ils soient poursuivis. Quelques chiffres rapides. Il y a environ 1000 personnes qui sont tuées chaque année par des policiers (dont 23 % de noirs qui ne représentent que 12% de la population). Cela est bien évidemment très largement supérieur aux chiffres de tout pays démocratique (En France c’est environ une quinzaine par an). Sur ces 1.000 cas, seule une petite centaine de policiers sont inquiétés pour ces faits…. En gros, pour qu’un policier soit poursuivi au pénal, il faut que le sujet fasse la une des presses et télés nationales. Mais ils ne sont quasiment jamais reconnus coupables. Ainsi de 2005 à 2019, il n’y a eu que 3 policiers jugés coupables de meurtres pour avoir tué un civil. Calculez le taux si on estime qu’il y a entre 10.000 et 15.000 personnes tuées par la police sur la période. On comprend dès lors la véhémence des manifestants quand ils demandent que justice soit enfin faite.

Quelques articles sur le sujet

https://www.reuters.com/investigates/special-report/usa-police-immunity-scotus/

https://theappeal.org/qualified-immunity-explained/https://theappeal.org/qualified-immunity-explained/