Jean-Charles m’avait dit qu’on allait aux Etats-Unis. Voici que l’autre jour, je me réveille Desperate Housewife en Corée du Nord. Avions-nous pris l’avion dans le mauvais sens ? Avais-je été télétransportée dans la nuit ? Si je rêvais, pourquoi la Corée du Nord ? Les Coréens à Mamaroneck ne courent pas les rues. Il y a bien le gérant de « Loards’ Farm », la petite épicerie toujours ouverte au bout du Parkway. C’est un Monsieur charmant. A chaque fois que je vais acheter quelque chose, il donne des chewing-gums à Jade et me dit qu’elle a bien grandi depuis la dernière fois… En trumpant mon Donald… Oups mon Donut dans mon mug de café, je me suis rappelée que je venais de relire 1984.
Néfaste lecture : je devenais paranoïaque et je faisais des cauchemars.
1984 est un livre daté, dépassé même, que le parti Républicain a utilisé comme bible pour dénoncer le communisme. Qui pourrait encore imaginer un dictateur qui manipulerait la réalité ou comme le dit Orwell qui « finirait par annoncer que 2 et 2 font 5 (…) » ? Qui pourrait imaginer un pays où le gouvernement demanderait de « rejeter le témoignage des yeux et des oreilles.» ? Le concept abracadabrantesque d’Orwell, cette fameuse « doublepensée », ce truc qui permettrait la coexistence et l’acceptation simultanées de croyances contradictoires c’était n’importe quoi ! Et que dire du Ministère de la Vérité où le héros et ses collègues travestissaient les faits historiques devenus gênants pour la propagande du Parti ? Non il prenait vraiment son lecteur pour qui ce Orwell ? Il avait même imaginé un machin encore plus insensé : le « novlangue » ! Comme si en réduisant la structure syntaxique et le vocabulaire à leur minimum, on pouvait interdire les pensées subversives. Comme si on pouvait empêcher les gens de réfléchir, comme si on pouvait faire appel à leurs passions les plus basses pour les manipuler. Tout ça pouvait marcher dans un pays communiste mais ici aux Etats-Unis ? non ! Pourquoi ? Parce que…parce que la Constitution Américaine a des pouvoirs magiques. Orwell avait vraiment une imagination débordante, trop débordante : un parti qui inventerait un bouc émissaire à jeter en pâture à la foule lors de manifestations de haine collective, ça pouvait marcher du temps de Hitler mais en 2017 ? non ! je vous le dis pour la nième fois : arrêtez de psychoter !
D’où ven
ait mon malaise alors ? Dans mon rêve, le personnage principal s’appelait « Donald ». Contrairement à Big Brother, Donald n’était pas un personnage conceptuel. Il existait bien. Physiquement, c’était le croisement du Joker dans Batman et d’un Crazy Clown. Sa moumoute était digne du ridicule capillaire d’un dictateur Coréen, mais franchement un directeur Coréen à la chevelure orange ? Jamais vu ! La rumeur disait que Donald ne lisait rien mais moi, dans mon rêve, j’avais l’intime conviction qu’il avait lu 1984, et en détail en plus. On aurait dit qu’il en appliquait tous les principes à la lettre. Donald n’arrêtait pas de déformer la vérité : il la pliait, la secouait, la torturait, et la malaxait jusqu’à ce qu’elle ressemblât à un truc bien informe. Il n’y avait que moi qui VOYAIS que Donald mentait. J’essayais d’avertir les
autres, mais aucun son ne sortait de ma bouche. Les gens autour de moi ne m’entendaient pas. Ils trouvaient ça normal : un mensonge, deux mensonges, trois mensonges. On ne pouvait pas parler de mensonge tant qu’on n’était pas sûr de l’intention de nuire… disaient-ils. Je leur hurlais : « mais regardez ce déversement de «doublepensée », vous êtes aveugles ? vous êtes sourds ? vous perdez la mémoire ? » .
Ils n’étaient pas les seuls à la perdre, la mémoire. Donald avait une mémoire de poisson rouge, ce qui lui permettait de mentir avec sincérité. Il pouvait dire un jour d’une personne qu’elle était la meilleure actrice des Etats-Unis et le lendemain qu’elle était largement « overrated ». Il commençait une phrase en disant blanc et la terminait en disant noir. Qu’est-ce qu’il s’était marré quand il avait dit à un journaliste de Fox : « “I don’t want to have guns in classrooms. Although, in some cases, teachers should have guns in classrooms, frankly.”. Trop drôle la gueule du journaliste… Et son jeu favori, c’était le « c’est celui qui dit qui y est ». Dès que quelqu’un lui reprochait un acte ou une parole, il renvoyait la balle à son attaquant. Hillary avait donc appris qu’elle était à l’origine du « birther movement»… C’était hillarious. Il se rappelait très bien pourtant qu’il envoyé plein de tweets à ce sujet du genre « An ‘extremely credible source’ has called my office and told me that Obama’s birth certificate is a fraud. » dès 2012.
Sa tactique marchait comme sur des roulettes. Plus les mensonges étaient gros, plus ils passaient. Quand il faisait une connerie, il se disait « non mais là, ça va s’arrêter… ils vont s’en rendre compte que je mens, ils vont agir ». Il n’avait jamais trouvé leur limite. Le public gobait tout, jusqu’à la lie, le Parti Républicain acceptait tout et en redemandait. Il avait mis KO la « nasty woman ». Malgré mes hurlements, Donald était élu Président, …dans mon rêve. Le jour de son inauguration. Il était tellement zému d’être couronné roi, qu’il avait eu une vision. Dieu multipliait la foule comme des petits pains sur le Mall devant le Capitol (Tiens, décidément, un Capitol en Corée, encore une incohérence de rêve…). En tous cas, les Anges du ciel descendaient dudit Capitol sous les Trumpettes de la renommée, brandissaient leurs épées et transperçaient les cohortes de nuages. Un rayon de soleil avait éclairé la couronne de Donald. Il en était ébloui. Les méchants journaux et leurs copines les télés avaient osé raconter une toute autre histoire (Ouf, il y avait heureusement quelques personnes plus lucides qui me croyaient dans mon rêve). Ces médias affirmaient que la foule venue pour l’inauguration du Donald était clairsemée. Des prétendus experts avançaient des chiffres inférieurs au demi-million. Mais Donald avait vu pendant son discours la vague des casquettes rouges qui déferlait jusqu’au Washington Monument et peut être même jusqu’au Potomac. Ils l’écoutaient religieusement. Donald savait au fond de son coeur que oui, « We the People » l’adoraient. Alors depuis, il répétait partout que la foule était HUUUUGE, qu’il y avait 1,5 million de personnes à son couronnement nanananèREU…, et que même que c’était plus que pour Obama. Je ne me souviens plus bien qui était Obama dans mon rêve. Il faut dire que les souvenirs d’avant Donald commençaient à s’effacer. Les journalistes affichaient de méchantes photos à l’appui de leurs affirmations. Ils prétendaient même qu’il pleuvait pendant son discours. Wrong ! Le déluge avait démarré dans la seconde où Donald avait cessé de parler.
Devant tant de mauvaise foi des journalistes, dans un accès de colère, le nouveau Président s’était roulé par terre, avait fait pipi (dans mon rêve il prenait ses « golden showers » tout seul) et ordonné à son secrétaire de presse, Sean Spicer, de rétablir LA VERITE.
Ce dernier avait accusé les médias de s’être « engaged in deliberately false reporting ». Il assurait que les supporters venus applaudir Donald représentaient « the largest audience to ever witness an inauguration » en citant des chiffres d’usagers de métro qui ne collaient pas du tout avec ceux de la régie des transports de Washington. C’est fou ce que l’imagination travaille dans les rêves. Dans le mien, le secrétaire de presse expliquait que l’erreur des journalistes venait du plastique blanc utilisé pour protéger le sol lors de l’inauguration. Ce blanc faisait ressortir de façon exagérée les trous au milieu de la foule. Peu importait que le même plastique ait été utilisé en 2013. Ce plastique était tout simplement de mauvaise foi lui aussi. Un petit détail de mon rêve me revient à l’esprit : que faisait Spicer à la conférence de presse avec un tablier de cuisine ? Sur le tablier, il arborait la nouvelle constitution trumpienne qui commençait ainsi : Article 1 – Donald a toujours raison. Article 2 – si Donald a tort référez vous à l’article 1. Comme les journalistes résistaient, Donald avait appelé Kellyanne Con(ne)way, sa Barbie Girl à la gueule défoncée… Seule Kellyanne comprenait Donald. Elle leur avait sorti des « alternative facts » de sa manche. « You’re saying it’s a falsehood. … Sean Spicer, our press secretary, gave alternative facts to that, ». Kellyanne, elle avait encore mieux lu Orwell. Elle en faisait de la poésie. Il ne fallait pas écouter ce que Donald disait mais lire dans son cœur : « You can’t give him the benefit of the doubt on this, and he’s telling you what was in his heart? You always want to go by what’s come out of his mouth rather than look at what’s in his heart.”.
Ce dont Donald était le plus fier, c’était d’avoir recréé sa propre « novlangue » : la «Ducklang ». Quand un journaliste lui posait une question qu’il ne comprenait pas, Donald choisissait un ou deux mots qu’il répétait à l’infini. Il évitait soigneusement les verbes. C’était trop difficile la concordance des temps. Lui, il adorait les superlatifs. Son vocabulaire était aussi limité qu’une playlist sur une radio pour djeuns : 10 titres en boucle. Il adorait les phrases sans début, sans fin et sans idée. Un type (comment s’appelait-il déjà ?), lui avait dit qu’il était le Hemingway du tweet. Il ne savait pas très bien qui était Hemingway mais il avait compris que c’était un compliment. Tiens il fallait qu’il pense à dire à Kellyanne de vérifier qu’Hemingway ne faisait pas partie de la liste des auteurs qui seraient interdits dans son prochain « Executive Order ». Il adorait signer les « Executive Order ». Il faisait un D immense sur la page avec plein de fioritures autour. Il fallait qu’il dise à Barbie girl de donner un poste à ce type : Ambassadeur pourquoi pas ? Kellyanne lui dirait quel pays il pourrait lui confier. Il n’avait jamais aimé la géographie.
Donald s’en foutait, il allait bientôt les écrabouiller tous les journalistes, les éclater comme des punaises. Ils les avaient prévenus pendant la campagne. « Même pas cap hein » ? Vous connaissez pas le Donald les gars. Ils ne voyaient pas ces andouilles : ils répétaient leurs « faits » comme des benêts, relevaient ses mensonges. Mais qui s’intéressait encore à leurs faits ? Sûrement pas ses supporters. Il pourrait bien dire à ses supporters que la Lune était bleue comme une Orange, ils le croiraient. Ils l’adoraient. Pour se faire aimer, il s’était encore inspiré de la minute de haine d’Orwell. Mais il était bien gentil Orwell avec son ennemi public n°1. Donald avait franchement amélioré la technique. A l’ère du changement et de la vitesse, il fallait changer d’ennemi tous les jours. Et puis les technologies avaient un peu évolué. La télé c’était dépassé. Alors il leur en avait fourni de l’ennemi pour les minutes de haine sur ses tweets : musulmans, mexicains violeurs, papa de héros mort au combat, icône noire du mouvement des Civil Rights, 5 Présidents des Etats-Unis, une actrice de Cinéma. Il s’était particulièrement acharné sur quelques losers : une freshman de College qui recevait encore des insultes et des menaces un an après qu’il avait lâché les chiens.., un journaliste handicapé, un leader syndicaliste… Mais sa cible préférée, celle qu’il détestait plus que tout, c’était Hillary. Il allait la : « lock her up », une fois qu’il aurait « buildé son wall ». Pour ça, il fallait qu’il nomme le bon juge à la Cour Suprême. Pourquoi Kellyanne lui avait-elle dit que la Cour Suprême ne servait pas à juger Hillary ? Il allait encore falloir faire un Executive Order. Ca allait être the foot de signer l’ordre d’arrestation. Peut-être qu’il irait même assister à l’exécution et qu’il enverrait un tweet au moment fatal : “I would like to extend my sincere condoleances to Bill and Chelsea on this special date. Respected the Nasty Woman very much even if she was a total loser! »
Donald zappa dans mon rêve. L’écran de sa télé annonçait que ce « bad hombre » de Président mexicain avait annulé son rendez-vous avec lui ! par tweet en plus… Mais il se prenait pour Donald le Bad Hombre ? SAD ! WRONG ! Les médias allaient encore se foutre de lui. Donald prépara son tweet : « MET THE PRESIDENT OF THE RAPISTS IN THE WHITE HOUSE’s GARDENS. WAS MOWING THE LAWN. GOOD DISGUISE BUT I RECOGNISED HIM. I AM SMART. »
Quelques petits articles…
https://www.nytimes.com/2017/01/11/opinion/the-dark-magic-of-kellyanne-conway.html
http://www.politico.com/magazine/story/2017/01/donald-trump-lies-liar-effect-brain-214658
http://ew.com/article/2016/07/28/trevor-noah-donald-trump-daily-show/
En France les ventes de 1984 d Orwell ont je crois double depuis l an dernier …
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